L’Afrique est le centre du monde

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La politique africaine du Maroc est au cœur de l’actualité. Preuve qu’elle se porte bien, la multiplication des visites royales à de nombreux pays du continent, la signature de centaines d’accords économiques et de coopération ainsi que la mise en route de projets d’envergure. Deuxième investisseur en Afrique, le Royaume entend développer sa présence grâce à son savoir faire et aussi à la solidité et crédibilité de ses entreprises qu’on ne présente plus. Stratégie ou tactique ? Ni l’une, ni l’autre nous dit Khalid Chegraoui enseignant chercheur à l’Institut des Etudes Africaines de Rabat. Il estime que nous sommes beaucoup plus dans des perceptions de prospective. 

Depuis plusieurs années, le Maroc développe une politique économique africaine ambitieuse qui a fait de lui le deuxième investisseur africain sur le continent après l’Afrique du Sud. Pourquoi cette ruée économique ?

Je dirais qu’il s’agit d’une nouvelle démarche beaucoup plus pragmatique que ce qui se faisait auparavant. Il faut rappeler que le Maroc a toujours été un pays complètement imprégné de son africanité, lié à son identité africaine. Historiquement et en termes de relations avec l’Afrique subsaharienne, principalement avec le bassin du Niger et celui du Sénégal, le Maroc a eu des relations continues avec les Etats qui étaient en place depuis le moyen âge.

Mais, la colonisation a tout fait pour empêcher les pays africains de se lier entre eux et de conserver les liens hérités de la période précoloniale, mettant en place un certain nombre de frontières artificielles qui ont empêché ces relations.

Le Maroc s’est ainsi trouvé dans une nouvelle nomenclature, celle appelée le Maghreb ou Afrique du Nord, complètement lié à la Méditerranée.

Depuis l’indépendance, le Maroc a essayé de retourner à ses racines africaines. Ceci n’a pas été facile, en raison des liens avec la métropole, de ce qui a été imposé en termes de relations économiques internationales.

Ceci dit, Rabat a toujours géré sa politique africaine de manière multidimensionnelle sur tous les plans. Ça ne s’est développé de manière exponentielle qu’à partir du XXIe siècle avec la nouvelle politique mise en place par le roi Mohammed VI. Cependant, il ne faut pas occulter les efforts qui ont précédé. Plus de 54% de l’action diplomatique marocaine officielle de 1956 à 1975 était tournée vers le continent africain. A partir de 1975, il y a eu l’affaire du Sahara et la division que cela a causée à l’intérieur du continent africain. Mais cette question n’a pas empêché le Maroc de développer ses relations bilatérales. Mais ce qu’il  s’est passé avec l’arrivée du roi Mohammed VI résulte du fait, non pas d’avoir mis cette question de côté, mais de faire en sorte qu’elle ne soit pas une entrave au développement des relations.

Comment expliquez-vous la percée des entreprises marocaines sur les marchés africains ?

Les entreprises marocaines et principalement les majors sont celles qui ont investi ce marché. Elles ont pu développer leur politique économique et de quête de marché bien avant cette nouvelle politique africaine. Plusieurs de ces entreprises datent de l’époque coloniale et même d’avant pour ne citer que le groupe « Omnium Nord Africain » ( ONA), qui date de 1906. Ces entreprises ont donc bien prospecté les marchés internationaux.

Autre point important lié à l’économie marocaine, c’est que l’entreprise qui souhaite investir dans des marchés extraterritoriaux a besoin d’un certain nombre de paramètres. Un soutien bancaire très important et crédible, pouvoir compter sur un espace d’assurance fort et sérieux, et aussi sur une politique officielle encourageante. Enfin, il lui faut trouver un espace juridique approprié qui garantit la sécurité de l’investissement.

Ces critères existent au Maroc, principalement à travers son secteur bancaire qui est assez fort et important car il respecte un certain nombre de modes et de règles reconnues sur le plan international. Ajoutée à cela, une politique très avantageuse de l’Etat qui encourage l’entrepreneur à s’investir en Afrique à travers la régularisation de l’espace juridique, les conventions, l’aide, les contacts et les chancelleries.

N’oublions pas aussi que le Maroc est une petite Afrique, car le marché marocain est un marché africain et l’entreprise marocaine est une entreprise africaine. Il y a donc une sorte de symbiose et d’harmonie qui fait que l’investisseur marocain se retrouve dans un autre pays de l’Afrique subsaharienne avec les mêmes problèmes, parfois avec les mêmes erreurs et les mêmes mentalités.

Cette évolution de la stratégie économique du Maroc peut-elle faire du royaume une sorte de hub africain ?

Je dirais qu’il ne s’agit pas d’une stratégie, ni d’une tactique. Je dirais plutôt que nous sommes plus dans des perceptions de prospective.

Dans le continent africain, nous vivons tous des situations économiques très difficiles et nous sommes appelés à changer nos normes politiques vers plus de bonne gouvernance et d’ouverture, et de ce fait, nous sommes obligés d’ouvrir nos marchés, vers l’occident et l’Asie dans un monde où les échanges interafricains sont trop faibles. Les études faites font état de 17% alors qu’en réalité ces échanges se situent entre 10 et 12%. Nous sommes donc obligés, de développer nos économies sur le plan national, puis sur le plan régional et enfin continental. Sans ouverture des économies interafricaines sur elles mêmes, il n’y aura nullement de véritable développement et surtout de résolution de tous nos conflits qui se ressemblent d’ailleurs : migration, chômage des jeunes diplômés, etc.

Il y a donc un devoir d’ouvrir ce marché et toutes les possibilités sont envisageables. Si la Chine investit en Afrique, ce n’est pas par hasard et c’est le même cas pour les indiens, les japonais, les coréens, les brésiliens sans parler bien sûr des européens qui sont toujours là, ainsi que les américains… Donc pourquoi pas nous, africains?

Le Maroc a longtemps boudé certains pays africains qui avaient reconnu la pseudo République arabe sahraouie démocratique (RASD). Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ?

Le monde a changé. Le Maroc a toujours essayé de résoudre ce problème artificiel. Là où le monde va vers beaucoup plus d’unification, en Afrique, nous sommes beaucoup plus dans une sorte d’atomisation de l’Etat et des identités en liaison avec des espaces géographiques non viables. Ce qui conduirait à une véritable catastrophe.

Nous voyons bien ce qui se fait en Europe. En général, elle s’oppose au droit à l’autodétermination dans des pays dits démocratiques et de tradition démocratique, quand elle est en train de financer et même d’encourager pas mal de demandes à la différence liées à des espaces territoriaux dans les Etats africains.

Pour en revenir à la question du Sahara, le Maroc s’est effectivement, principalement dans les années 70-80, limité aux amis. Les choses ont énormément changé car les gouvernements ont changé en Afrique. On est dans des expériences démocratiques extraordinaires qui d’ailleurs sont des leçons pour l’ensemble des autres pays africains qu’ils soient à l’Est ou à l’Ouest.

Second point, la question du Sahara, selon l’Etat marocain, ne doit plus être un barrage au développement des relations, qu’elles soient politiques, économiques, sociales, ou culturelles, car « ce qui nous unit est beaucoup plus grand que ce qui nous désunit », disait Cheikh Anta Diop (historien et homme politique sénégalais) qu’on a souvent critiqué pour son panafricanisme.

Un problème comme la question du Sahara ne doit pas être une entrave. Ça a divisé à un moment en Afrique, ça ne doit plus diviser. Nous allons résoudre le problème, l’ONU s’y implique et s’y applique. Maintenant c’est aux Africains d’oublier un peu ce dossier, car c’est une entrave au développement des relations. D’ailleurs, que nos amis africains s’inspirent de la Ligue arabe, qui ne s’est jamais impliquée dans l’affaire du Sahara.

Je pense que le Maroc a été beaucoup plus courageux non pas parce qu’il a mis de côté sa question nationale, car il ne l’a jamais oubliée, il la défend de manière continue, corps et âme et il n’y aura jamais de retour en arrière. Mais l’affaire du Sahara ne va pas être une gêne pour les relations avec nos amis africains. Il y aura peut-être beaucoup plus d’espace de compréhension et certains contribueront à résoudre ce problème dans une sérénité et sagesse africaine.

Certains économistes disent qu’investir sur le continent africain n’est intéressant qu’à moyen terme, que pensez-vous de cela ?

Je dirais simplement que l’Afrique est un continent très riche, mais les sociétés sont très pauvres. S’il faut penser le continent africain seulement sur un plan restreint et à moyen terme, il faut vraiment se poser la question suivante. Pourquoi la Chine et le monde sont en train de rivaliser pour s’investir et investir et même contrôler le marché africain ?

Pour moi, cette théorie est fausse et l’avenir est pour l’Afrique car en 2050, 25% de la jeunesse mondiale sera africaine. 60% des terres arables en Afrique sont encore non exploitées, 80% des réserves mondiales de phosphates se trouvent sur notre continent dont plus de 80% au Maroc. Les plus grandes réserves d’eau du monde hormis l’Amérique Latine et l’Asie sont chez nous… L’Afrique est le centre du monde et ça l’a toujours été et jusqu’à preuve du contraire le centre de l’humanité !

Propos recueillis par Nadia Benchikh, collaboration spéciale

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